Un voyage…
J’avais entrepris un voyage à travers l’Asie et au bout de 20 mois je me suis arrêté à Varanasi, plus connue sous le nom de Bénarès, au bord du Gange, pour m’initier à la musique classique indienne, le raga.
J’étais déjà passé dans cette ville au cours du même voyage et elle m’avait fortement impressionnée. J’avais envie de la filmer, de montrer ses beautés, ses excès et je m’étais juré d’y revenir.
La musique indienne m’attirait depuis toujours alors que je n’en connaissais rien.
Par hasard ou presque, j’ai fait ce film.
Durant les deux mois de mon séjour, j’ai pris des cours avec un jeune professeur, j’ai filmé la ville et j’ai préparé mon retour en France après presque deux années de voyages.
Je ne savais pas encore ce que j’allais faire de ces images, et c’est en étudiant les arcanes de la musique que j’ai eu l’idée de concevoir un film qui suivrait les règles d’un morceau indien, les règles du Raga.
Raag Varanasi est le fruit de ce moment et de cette entreprise.
Le raga
Un raga, à proprement parlé, c’est un peu comme une gamme, en occident on dirait un mode, mais ce n’est pas vraiment ça non plus. C’est un ensemble de notes qui, jouées selon des règles et un ordre relativement précis, créent une certaine harmonie, un climat, une atmosphère, une humeur (a mood) qui identifie et donne son caractère au raga.
Il y a donc des centaines de ragas (des centaines d’ensembles de notes, de gammes) auquel on a donné des noms, des usages, des heures auxquelles les jouer.
Dans un raga, le nombre limité de notes, d’associations entre elles, font que le musicien tourne sans cesse autour des même motifs mélodiques, donnant à la musique indienne ce sentiment hypnotique, méditatif, répétitif, obsessionnel même.
Traditionnellement, le raga se compose de trois partie : l’Alâp est une ample et lente introduction où le musicien expose tous les motifs mélodiques du Raga, allant du plus grave au plus aigu pour atteindre une sorte de climax, et redescend vers la note médiane.
Puis, dans la deuxième partie, le Jhor, on va introduire une pulsation, parfois des percussions, des ornementations, des lignes mélodiques plus rapides, mais toujours en revenant sur les mêmes motifs.
Enfin le Jhala est une accélération qui reprend tous les motifs et se termine en apothéose.
Le Film
"Raag Varanasi" est un portrait de Bénarès ; l’humeur de mon raga filmique c’est donc l’humeur que dégage Bénarès à travers des aspects précis ; dans ce cas : le Gange, la vie quotidienne autour du fleuve, la dévotion, les animaux, la musique, les rues et les ruelles, les dieux, les processions et fêtes pour ces dieux, mais aussi le voyage, le retour vers les miens, vers mon pays…
Le film décline donc ces grands thèmes de manière cyclique, y revenant sans cesse, comme dans la musique. A la fois, des motifs visuels et sonores, se font échos les uns aux autres, et forment comme des ornementations. L’image et le son sont traités de façon musicale : échos des couleurs, des lignes, des mouvements, des volumes, des traces. Le montage est un jeu de maraboud’ficelledech’val…
Le film se déroule en suivant le cycle du temps : aube, matin après midi, crépuscule, soir, nuit… avec comme seule entorse, les incursions vers la France, comme une anticipation du retour, ou comme si Varanasi était un souvenir.
Le film se découpe selon les trois partie dont j’ai parlé : l’Alâp contemplatif privilégie les longs plans, les actions simples, développe et présente chacun des thèmes.
Le Jhor reprend chaque aspect selon un nouveau point de vue, essai d’être plus narratif, on passe plus vite d’une action à l’autre, les plans sont plus courts.
Dans le Jhala le montage est plus vif, plus rythmé et s’emballe pour aboutir à un kaléidoscope.
C'est donc un film expérimental, puisque c'est bien d'une expérience formelle qu'il s'agit : celle de convertir le mode de fonctionnement de la musique indienne en langage filmique.
Documentaire sans commentaire, film musical dans sa forme, mais qui ne "parle" pas de musique, contemplation du quotidien de cette ville fascinante, et réflexion autour du voyage, des distances et du temps, ce film est surtout une invitation au voyage, un moment passé en ma compagnie, à Varanasi.
Vous pouvez lire aussi la critique de Anthony Goreaud-Ponceaud en cliquant sur le lien
http://www.geocinema.fr/documents/20110629-134741---2011-%20RAAG%20VARANASI-%20Goreaud.pdf